vendredi 1 avril 2011

épisode 100: Il arrive...



La jeune femme marchait dans la rue d'un pas léger. Une veste fine recouvrait sa robe légère: malgré l'heure tardive, il faisait encore chaud. L'été allait bientôt pointer son nez. Dans la chiche lueur des réverbères, il était difficile de distinguer la couleur de ses cheveux. Sortant à peine d'une soirée bien arrosée, elle était d'excellente humeur. Elle sauta en riant par dessus un obstacle qui bloquait le trottoir. Si elle avait été sobre, elle aurait reconnu ce que c'était.
Une jambe. Sectionnée. Mais non, elle continua sa route tranquillement, vers la forme plus sombre d'une église en contrebas. Les cloches la firent sursauter: 11h52 sonnaient au clocher. Un grattement derrière elle la fit se retourner brutalement. Une forme sombre était penchée sur quelque chose, à l'endroit où elle venait juste de passer. Un frisson désagréable parcourut son dos. Toutes les rumeurs auxquelles elle ne voulait pas ajouter foi lui revinrent en mémoire. Elle se sentit comme douchée; les effets de l'alcool disparus comme par miracle.
Sans demander son reste, elle prit ses jambes à son cou, se précipitant vers l'église. Elle n'avait rien distingué d'autre qu'une forme indistincte mais quelque chose l'avait mise très mal à l'aise. L'avait même révulsée. Dans le cercle de lumière du lampadaire, elle s'était sentie vulnérable, seule, et la peur _peut-être n'était-ce qu'une peur irraisonnée_ l'avait saisie au plus profond d'elle-même.
Ses talons cliquetaient sur les pavés. Le souffle lui manquait; elle n'avait pas l'habitude de courir, encore moins après un bon repas mais un sentiment de panique l'aiguillonnait. Haletante, elle arriva au pied des murs de l'église et se réfugia dans l'ombre d'un contre-fort. Tentant de calmer les battements de son cœur, elle se renfonça dans l'ombre comme si elle voulait se fondre dans la muraille.
Elle étouffa non sans peine un cri. Trois silhouettes obscures perchées à mi hauteur la regardaient. Se fondant dans la pierre, leurs corps semblaient onduler le long du mur et leurs visages cauchemardesques tout droit sortis des enfers. Des gargouilles. Juste des saloperies de gargouilles; elle se morigéna en elle-même et reporta son attention sur le haut de la rue. La plus proche "gargouille" déploya silencieusement une patte griffue et ailée pour descendre un peu plus le long du mur.


La rue semblait calme et déserte. Comme si elle l'avait toujours été. L'heure tardive avait-elle joué avec l'imagination de la jeune femme ? Elle aurait bien rit d'elle-même si elle n'avait pas eu aussi peur. Elle commençait à respirer normalement quand une forme sombre se dressa devant elle, surgi de nulle part. Son cri se figea dans sa gorge quand la forme sombre la poussa violemment au sol et sortit une lame. La lame ornée de symboles brillants semblait sortie des ombres puis la jeune femme réalisa que la forme qui se dressait devant elle était revêtue d'un grand manteau sombre des plis duquel sortait cette arme.
La silhouette semblait fixer son attention sur les gargouilles qui l'avaient faite sursauter. Absurde, ce type était encore plus bourré qu'elle s'il prenait des statues pour des trucs vivants. Seulement, les gargouilles semblaient plus proches, avec une expression plus menaçante si cela se pouvait. La jeune femme recula en rampant, essayant de faire le moins de bruit possible, bien décidée à fuir au plus vite cet endroit. Elle cligna des yeux un seul instant; il lui sembla que plusieurs minutes s'étaient écoulées. Les gargouilles, toujours immobiles, étaient à présent tout près du sol et tendaient en avant de longs bras décharnés et griffus. Et leur visage ! Mon Dieu comme elle aurait voulu ne jamais avoir vu de pareilles abominations !
Cela n'était rien en comparaison du chuintement qui paraissait provenir de la forme sombre avec son épée. Le type en noir avait un contour flou et la jeune femme avait du mal à distinguer autre chose qu'une forme. Et ce n'était pas l'alcool ou la fatigue; l'adrénaline courait dans ses veines, améliorant ses perceptions. L'"homme en noir" parlait ou racontait un truc dans sa barbe, seulement, impossible d'en saisir un traître mot, ou même de reconnaître la langue utilisée. Une horrible sensation de saleté nouait les entrailles de la jeune femme, pétrifiée par les miasmes invisibles qu'exhalait le type en noir.
Au moins, cela avait l'air de faire quelque chose sur les gargouilles. Des craquelures se répandaient sur tout leur corps, dans la roche. La jeune femme passa sa main devant ses yeux, comme pour vérifier qu'elle n'était pas victime d'une quelconque illusion d'optique. Quand elle les rouvrit, les gargouilles étaient toujours dans la même position mais ressemblaient plus à... des gargouilles. De vraies gargouilles en pierre qui avaient subi l'outrage du temps: fendillées, craquelées, leurs contours s'effaçaient à l'image de quelque bloc de granit marin battu par le ressac.


"Fuyez !" L'homme en noir s'était retourné, le visage toujours caché dans l'ombre mais avait tendu une main vers la jeune femme, son épée disparaissant quand il se retourna vers elle. Se relevant d'un bond, elle s'en saisit sans trop savoir ce qu'elle faisait. Il n'y avait qu'une seule chose à faire: quitter cet endroit, tout le reste attendrait ! Ils commencèrent à s'éloigner de l'église. Mais pourquoi s'en était-elle approchée déjà ? Nom de Dieu ! Le quelque chose qui rampait dans l'obscurité ! Il n'y avait pourtant que quelques minutes à peine depuis sa course vers l'édifice religieux et pourtant ces,..., ces gargouilles ou quoi que cela puisse être avaient accaparé toute son attention.
Elle essaya de se libérer de la poigne de l'homme en noir. Ils avaient atteint l'endroit où elle avait cru voir quelque chose tout à l'heure. L'homme la poussa brutalement dans une ruelle, éclairée seulement par un soupirail d'où filtrait une lueur verdâtre qui avait l'air animée. Elle trébucha et s'étala de tout son long dans la poussière et les détritus qui jonchaient la ruelle. Rien qu'à voir les ombres mouvantes projetées par l'étrange lueur, elle en eut la nausée, comme si elle contemplait quelque chose d'interdit, d'ancien mais surtout d'infiniment malfaisant. Il lui fallut aussi quelques instants avant de reconnaître le liquide poisseux dans lequel elle gisait. Du sang. Le tas de sacs en plastique à côté d'une petite porte arrondie en était l'origine.
"Oh oui, c'est bien ce que vous croyez" répondit l'homme en noir à la terreur naissante que l'on pouvait lire dans ses yeux. Terreur doublée d'un début d'incompréhension et de questionnement. "Pourquoi je vous ai tirée de leurs griffes ? Mais voyons, aujourd'hui est un grand jour, aujourd'hui Il revient !". Il continuait à parler tout en s'approchant de la jeune femme. Sa voix avait quelque chose de répugnant, chaque phrase commençant dans un infâme gargouillis. En passant dans les rayons de lumière verte, ses traits semblèrent s'affermir, révélant dans l'ombre d'une capuche un visage presque humain. Sa peau semblait fine, avec un reflet jaunâtre. Trois grandes coupures s'ouvraient en rythme de chaque côté de ses joues. Comme des branchies.
Maintenant proche de la jeune femme _trop proche, bien trop proche_ elle sentait une odeur de mer, un vague remugle de varech et de décomposition.
"Vous devriez être honorée, vous êtes la centième !" Complètement affolée, la jeune femme ne put esquisser le moindre geste quand la lame brillante, miraculeusement réapparue dans les mains de l'homme, décolla sa tête de ses épaules. "Oui, la centième, enfin ! Il sera content !".

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