Comment reprendre le cours de son ancienne vie? comment continuer, lorsque dans son cœur on commence à comprendre qu'on ne peut plus retourner en arrière. Il y a des choses que le temps ne peut cicatriser, des blessures si profondes qu'elles se sont emparées de vous.
Ainsi parlait Frodon Sacquet, à la fin du Retour du Roi, dans le film de Peter Jackson. En digne successeur de son oncle, Frodon a laissé sa vie posée à Cul de Sac pour partir à l'aventure. Mais contrairement à son oncle, lors de son retour Frodon n'a pas réussi à reprendre sa vie d'antan. Le contraste entre sa vie habituelle et ses aventures aux quatre coins de la Terre du Milieu était trop important. Plus question de s'accommoder du train train quotidien de Hobbitebourg quand on a goûté aux grands espaces du Rohan, du Gondor, quand on a vu le monde du haut de la Tour Blanche ou du dos de Gwaihîr. Peregrin, Meriadoc ou Samsagace ont sûrement aussi ressenti ce manque, ce vide à leur retour en Comté, mais, et pour Sam surtout grâce à Rosie et à leurs rejetons, ils ont tous réussi à reprendre le cour de leurs vies. Frodon quant à lui n'a pas pu se résigner, même rester en Comté ne pouvait plus rien lui apporter. Il a donc décidé de prendre la place que les elfes lui ont proposée sur l'un de leurs fins navires en partance pour Valinor.
La fin de ce film, comme celle du livre m'a toujours laissé un goût étrange dans la bouche. Ce sentiment qu'éprouve Frodon est partagé par son lecteur/spectateur. "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", cette phrase qui clôture nos contes d'enfance préfigure déjà ce blues de fin d'aventure. Après de palpitantes péripéties j'ai toujours trouvé presque décevant à la fois que l'histoire doive s'achever et que les héros en viennent à abandonner leur statut même de héros en redevenant anonyme. Apparaît alors une mise en abîme entre le héros et son lecteur ou son spectateur qui vient de passer des heures scotché dans son fauteuil et se demande comment repasser à sa vie normale. Le Monde de Narnia est un autre parfait exemple de ce syndrome de fin d'aventure. Les enfants Pevensie, à leur retour à Londres ont eu des difficultés à se réadapter à notre monde. Redevenir un enfant anonyme quand on était, il y a quelques heures à peine l'un des rois ou reines de Narnia, c'est assez difficile à encaisser.
On pourrait aussi qualifier ce dur retour à la réalité de syndrome "retour de GN". Ce ressenti diminue de jeu de rôle grandeur nature en jeu de rôle grandeur nature. Mais après plusieurs jours dans un univers fantastique avec une immersion maximale, où l'on vit, mange, et dort loin de notre réalité, y retourner est toujours difficile. Un jeu de rôle grandeur nature, comme un livre ou un film est un concentré d'aventures épiques, de rencontres fantastiques et d'actions héroïques, le tout en un laps de temps bien trop court. Et plus l'immersion est importante, plus la fin de l'aventure laisse l'aventurier vide, et plus le retour dans notre réalité est dur à accepter.
Et les entreprises comme Netflix ont bien compris le concept. Le phénomène de "Binge Watching" popularisé par les services de VOD, fonctionne sur ce concept. Pour reprendre l'exemple de Netflix, tout s'enchaîne, sans même que l'on ait besoin de bouger ses fesses de son fauteuil, et comble le vide de nos existences. Nous avons toujours un écran sous les yeux, télévision, ordinateur, tablette, smartphone... Et notre mode de consommation des médias évolue: la production et la consommation de séries augmente, avec toujours plus de budget, ayant ainsi des castings et des décors n'ayant plus rien à envier au cinéma. Certes toutes les séries ne sont pas Game of Throne, et toutes ne peuvent pas encore se comparer à un Avengers 4. Mais avoir des épisodes qui s'enchaînent tout seuls, coupant le générique, les résumés des épisodes précédents... cela renforce l'immersion que peut nous procurer une série. Notre syndrome de fin d'aventure et notre flemme nous poussent alors à continuer à regarder toujours plus d'épisodes, et à chercher la prochaine série dès qu'on vient de finir la précédente. Et Netflix comble ainsi le vide de notre existence qu'il a lui même exacerbé à un niveau encore jamais atteint pour une simple consommation d'un média. On retrouve aussi ce syndrome quand on finit un jeu vidéo sur lequel nous avons sué sang et eau pour que notre avatar, que notre personnage, que nous puissions compléter le destin que le scénario nous propose. Fort heureusement les Elders Scrolls sortent à un rythme auquel on pourrait donner la note de What The Cut /20. Ça nous donne bien le temps de faire une petite pause pour s'intéresser à autre chose, qu'il s'agisse de la réalité, d'un monde virtuel ou d'un univers créé par notre imagination à partir de simples mots sur du papier.
Buvons à nos aventures les gars, aux souvenirs, bons ou mauvais !