samedi 18 mai 2019

épisode 148 : Cet article est beaucoup trop long

Aujourd'hui, quelques réflexions philosophiques de comptoir. Avant de commencer, un peu de musique, cet article ne s'annonçant pas aussi léger que d'habitude, détendons nous deux secondes :



Il y a quelque temps est sorti un documentaire sur le défunt roi de la pop. Bien sûr, je ne l'ai pas vu, n'ayant ni la télévision ni l'envie de regarder pendant 1h30 des témoins raconter les abus sexuels dont ils ont été victimes. Encore que... Ce n'est clairement pas le but de cet article et je n'ai pas envie de prendre parti mais il semble que ce documentaire soit uniquement à charge, ne présentant que des témoignages accablants et occultant tout ce qui pourrait contrebalancer ce point de vue. Après autant d'années, je ne pense pas qu'on puisse réellement faire un jour la lumière sur cette affaire mais quoi qu'il en soit, montrer un point de vue biaisé, sans laisser les deux parties montrer des arguments, ça ne me semble pas très honnête... Un peu comme si les créateurs du documentaire pensaient détenir la vérité et s'improvisent alors juge, témoin, jurés... Sans aucune preuve réelle, ni d'un côté ni de l'autre d'ailleurs. Avouons tout de même, si les deux personnes témoignant dans ce documentaire ne sont pas forcément à croire sur parole, le Roi de la Pop avait semble-t-il des comportements bien trop étranges avec nombres de jeunes enfants...

Mais ce n'est pas pour cela que j'ai pris le clavier. Cela m'a plutôt refait penser à une question que je trouve assez importante. Celle de la dissociation entre une personne et son œuvre. Suite au documentaire mentionné au dessus, certaines stations de radio ont décidé de déprogrammer la musique de Michael Jackson de leurs antennes. Actuellement ce genre de problématique se retrouve pour d'autres artistes accusés d'agressions diverses depuis la libération de la parole, notamment celle des femmes dans le cadre des différents mouvements déclenchés par la révélation de l'affaire Weinstein (je ne critique ce mouvement à aucun moment, ne me faites pas dire ce que je veux pas dire).

A ce sujet j'aimerai bien différencier les artistes considérés comme des criminels aux yeux de la loi de ceux qui restent dans la légalité, quitte à exprimer des idées controversées ou qui ne sont qu'accusés ou seulement pointés du doigt. 

Qu'ils soient vivants ou non, de nombreux artistes ont eu des idées ou des comportements considérés comme ignobles ou abjects. Mais si certaines de leurs œuvres, voire l'ensemble de leurs œuvres, ne reflètent pas ces soucis, pourquoi ne pas dissocier l'œuvre de son créateur. Louis-Ferdinand Céline, considéré comme un très grand écrivain, était aussi un antisémite notoire, bien trop proche des forces d'occupation allemandes pendant la seconde guerre mondiale... Cela doit-il pour autant jeter le discrédit et l'opprobre sur ses œuvres comme le Voyage au Bout de la Nuit ? Bien entendu, les pamphlets antisémites du monsieur sont dans une catégorie différente. S'ils ne sont pas réédités depuis 1945, il semblerait que ce soit dû à la propre volonté de Céline. Et en effet un texte véhiculant spécifiquement ce genre d'idée ne me semblerait pas très opportun à publier ; à moins de les publier commentés, pour la valeur historique du texte et non pour son contenu intrinsèque. Un peu à la manière de Mein Kampf.
Mais laissons de côté les élucubrations moustachues du petit autrichien. Le comportement d'une personne devrait-il baisser la qualité d'une œuvre créée par la dite personne ? Et si ses agissements ternissent fort logiquement sa réputation, doit-on pour autant censurer des œuvres qui ne seraient ni hors-la-loi ni même promotrices des agissements punis ?
Sans aller trop loin niveau indignité, j'apprécie certains acteurs comme Tom Cruise ou Will Smith pour leurs rôles, et leurs talents, et il ne me semble pas qu'apprécier leurs bons films fasse la promotion de la scientologie, qui ne me semble pas un mouvement très très Charlie... Alors oui, vous me direz à raison qu'aller voir leurs films remplit leurs poches et donc finance indirectement la secte. Mais pour autant, qu'ils soient membres d'une secte, d'une religion, d'une science... de ce que vous voulez n'influe pas leurs talents d'acteur ni la qualité du film que vous êtes en train de regarder.


Quand un artiste, ou une personne random, est accusée d'un crime, ou surtout quand cette personne en est reconnue coupable, forcément l'arsenal répressif entre en action, punissant, emprisonnant... Ce qui est logique. Et ce qui est logique aussi, c'est alors que la plupart de ses activités cesse pour le criminel, a fortiori des activités artistiques. Plus de temps d'antenne,  ni d'invitation sur les plateaux télé, plus de concert... Une conséquence normale. Pour un acteur, plus de tournage. Mais pour un écrivain, la problématique est différente. Rien n'empêche un prisonnier d'écrire, il lui suffit ensuite seulement de trouver un éditeur. Et nous ne parlons même pas des textes qui peuvent être auto-édités, ou publiés sur le net. Dans ce genre de cas, nous nous trouvons dans le cas le plus extrême: l'artiste est coupable, condamné... Difficile de trouver une autre situation où l'on aurait plus l'impression de financer une crapule.

Ceci dit, même dans un cas comme ça, si l'individu est en prison, il paye sa dette à la société. Et s'il sort, ne peut-il pas retrouver ses droits? Et alors reprendre son activité? Forcément, son image sera écornée. Mais est-ce vraiment très convenable d'interdire ou de censurer un artiste qui sort de prison? Avant de prendre comme exemple Bertrand Cantat, je tiens à signaler une fois encore que je pose ici des questions, dont je n'ai pas forcément les réponses, et qu'à aucun moment je ne me poserai en savant omniscient désireux d'imposer ses convictions (oui, je le ferais si on parlait de la terre plate). Le chanteur de Noir Désir, meurtrier de sa compagne Marie Trintignant, a purgé une peine de prison. Je peux comprendre sans aucun problème que tout ceci puisse sonner la fin de son groupe. Mais stopper complètement la carrière, où les tentatives de carrières, d'un individu sortant de prison, n'est-ce pas aussi annuler complètement toute valeur de réinsertion ou de rédemption (je ne cautionne pas trop la charge religieuse de ce dernier mot, c'est le seul qui me vienne sur le moment)? Bon, là, il me semble que je digresse un peu.

Revenons-en plus particulièrement au cas de la dissociation entre l'artiste et l'oeuvre.  Pour ce qui est de ne pas vouloir financer certaines personnes ça reste difficile dans notre monde actuel où il y a beaucoup (trop) d'intermédiaires qui se sucrent sur le dos des artistes ou des consommateurs (parce que ça devient salement mercantile l'art il me semble).
Tant qu'une oeuvre n'est que ce qu'elle est; pas de message caché cequevousvoulezphobe, ni d'appel à la haine contre qui que ce soit, peut-on la regarder sans savoir qui en est à l'origine? Peut-on la juger pour ce qu'elle est? Si un tableau ou un film, que vous trouvez beau, qui vous fait ressentir des émotions, ou même qui vous fait réfléchir par son contenu intrinsèque, s'avère ensuite être le fait de Jean-Damien Raciste,  cela ne change pas pour autant la qualité de ce que vous venez d'observer. Et si c'est le cas, n'est-ce pas dommage de ne plus pouvoir profiter de quelque chose qui vous avait semblé si réussi ?
Tant qu'on reste dans les règles de l'hygiène, du respect de l'animal et du consommateur, est-ce un souci de savoir que c'est Bob le rageux qui a concocté votre repas ? Ou un réfugié sans papier ? Ou qu'il y a dedans des épinards alors que vous détestez ça d'habitude? Je peux comprendre que oui, mais n'est-ce pas dommage ? Si le contenu de votre assiette vous plaisait, et que vous ne pouvez plus y toucher à cause de ceux qui y ont touché avant, c'est pour vous que c'est le plus dommage non ?

Après, il s'agit bien entendu des cas où l'œuvre ne véhicule pas le prosélytisme nauséabond de son auteur. Dans le cas de certains "artistes" ou créateurs aux idées bien marquées, on est rarement dans ce genre de cas où la dissociation est aisée ; l'œuvre pouvant être, par essence même, bien trop le reflet des idées du créateur. Je suis tombé il y a peu sur la chaîne Youtube de Analgénocide qui illustre plutôt bien ce dernier exemple. Intrigué, j'ai regardé quelques vidéos. Certaines avaient des arguments corrects mais quasi impossible d'en trouver sans haine plus ou moins dissimulée, voire ouvertement crachée à la gueule du spectateur. Et on retombe rapidement dans tous les travers que l'on voulait éviter, le bonhomme ne réussissant pas à argumenter objectivement. Mais peut-être est-ce lié ici au format : difficile alors de différencier l'artiste de l'œuvre quand celle-ci ne sert justement qu'à servir les propos politique de l'auteur. Notons que je continue à employer le mot "artiste" par volonté de rester objectif, même quand l'exemple cité ne le mérite pas (mais là c'est mon avis subjectif).

Et maintenant que j'y pense, dissocier l'œuvre de son auteur, ça pourrait fonctionner aussi pour éviter des discriminations. Vous avez aimé un film, ou une chanson, peu importe qui l'a écrit, ou qui l'a chantée. Laissons de côté des préjugés pour apprécier un film : c'est une femme qui a réalisé un film de super héros ? Jugeons le comme un film, n'y allons pas avec un a priori négatif.
Oui, je continue vachement de digresser. Et en plus, malheureusement, vu la répartition des minorités dans notre société actuelle, c'est bien trop idéaliste. Mon dieu. Enfin, non. Il me faut une interjection non religieuse. En prenant comme exemple les films de super-héros, on en arrive à parler des femmes, ou des noirs, ou des gays comme de minorités... Il y a un truc qui ne va pas. Plus de 10 ans du MCU avant de voir des rôles titres noirs ou féminins, Black Widow ne faisant que rouler des "mécaniques" sous son uniforme de cuir moulant si pratique (hum...) depuis Iron Man 1... Du coup là, dissociation ou non, mettre le doigt sur le fait qu'un film met une femme sous les projecteurs ou un afro-américain, c'est quand-même pas négligeable pour faire avancer la société vers plus d'égalité. Parce que oui, en ce moment, on n'en est clairement pas à la situation où l'on pourra réfléchir à une personne, en étant capable d'interchanger sans souci son sexe, sa couleur, ses préférences... sans influence aucune.
Bon. Recentrons nous un peu, sinon je n'arriverai jamais à finir cet article.

Tout ça pour en revenir à la question : doit-on dissocier une œuvre de son créateur ? Toutes ne peuvent pas être appréhendées sans se prendre des gros morceaux de propagande de leur créateur en pleine tronche. Mais pour celles qui le peuvent, doit-on les détruire quand leur créateur est en disgrâce ? Finalement, à qui appartient une œuvre ? Quand on se l'est appropriée, qu'on y a mis du vécu, en a-t-on quelque chose à faire de Bob le créateur, même si c'est un obscur connard des années 70?
Concernant le cas de Michael Jackson et du fait de savoir s'il faut censurer ses oeuvres, un article de Marianne qui m'a servi de catalyseur pose des questions intéressantes. Celles notamment de "la justice hors système judiciaire. Si on l'accepte, qu'est-ce qui empêchera, à l'avenir, une entreprise privée de supprimer arbitrairement tout ou partie de l’œuvre d'un artiste ?"

Sur toutes ces questions, j'ajoute seulement des petites choses comme certains rappeurs français, condamnés, ou qui appellent à la violence dans leurs textes, ou messieurs Woody Allen ou Roman Polanski, ce dernier évitant même la justice américaine pour détournement de mineure. Et d'ailleurs, en 2003, ce dernier réalisateur est nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur pour Le Pianiste, près de 30 ans après les faits qui lui ont été reprochés, et alors qu'il est toujours considéré par Interpol comme un fugitif ne pouvant librement circuler qu'entre France, Suisse et Pologne...

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